LA TIQUE VALET DES RATS
- En un royaume, antan prospère et riche à souhait,
- Régnaient sans partage et guère plus de bonté
- Des rats qui, en cent ans, eurent presque ruiné
- Ce qui restait debout, et… du jour les cachait.
- D’un pays de cocagne, d’un royaume envié
- A belles dents, ils firent un monceau désolé.
- On finit par le voir mais c’était interdit.
- Quiconque osait parler se retrouvait honni.
- Car l’espèce des rats fut dit-on la victime
- jadis d’un joueur de flûte, en poussant à l’abîme
- Cent d’entre eux qu’il aurait tous noyés dans le fleuve.
- La loi depuis prescrit que chacun s’en émeuve.
- Vous savez ce que c’est, ce ne sont pas des zèbres.
- J’ouïe fréquemment qu’ils disent en être descendants
- Des zèbres, eux ? ils n’ont point du cheval la vertèbre.
- Ça grignote, ça ronge, et leur os, c’est la dent.
- Ils avaient dévoré tout le grain des campagnes,
- Puis celui de la ville, et non contents du grain,
- Ayant épuisé foins, fruits, légumes et pains,
- Insatisfaits toujours, ils rongèrent en Marranes
- Tout le bois des bâtis, du sous-sol aux faîtières,
- Poitrails, tenons, jusqu’à la dernière mortaise
- Si tant que tous logis sous leurs dents s’affaissèrent
- Au milieu des débris qu’on sait les combler d’aise.
- Les autres animaux n’avaient rien dit du tout
- Et s’aperçurent enfin du chaos général.
- On causa sans finir, on se dit en courroux,
- On menaça du poing: rien que de très banal.
- La faim seule eut raison de leur passivité.
- On quitta ses pénates et se fit révolté.
- Dans les rues, cependant, s’étalait cette ruine
- Et le rat n’aime point qu’il soit vu en plein jour.
- La chouette et le hibou, le chat, le chien, la fouine,
- L’hermine et la couleuvre, n’étant point de leur cour,
- S’entendirent enfin contre le surmulot
- Pour le chasser au mieux, pour le déporter loin,
- Le chasser de leur aire, éradiquer au moins
- De ces lieux le rongeur, puant, nuisible et gros.
- Le rat de son côté convoqua son concile.
- Tous les rats convoqués, soit moitié moins que mille,
- Affolés, mais jamais, ô jamais ! repentants
- (cela, ils le laissent aux crédules, innocents),
- Furieux, outrés, selon leur esprit inverti,
- Ils s’enquéraient, nerveux, de trouver un répit,
- Tout en contre-attaquant par des avis publics
- Disant que l’on mentait. Le dire était pratique.
- Ils savaient qu’en sortant le museau en plein air,
- Leur mine épouvantable et leur réputation
- Les désignerait tous au courroux populaire.
- Que leur nuisible sape aurait rétribution
- Et pas de celle qu’on reçoit pour œuvre pie:
- Le rongeur n’est pas sot, quand en jeu est sa vie.
- Ainsi cette assemblée de saboteurs crasseux
- Prit la décision qui devait sauver ces gueux.
- On décida enfin de mander alentour
- Qu’on cherchait un héraut ayant un bon visage,
- Des manières amènes, et d’autres avantages.
- Sans non plus espérer un grand élan d’amour,
- Les rats du moins voulaient affadir la querelle:
- Il fallait en finir avant que trop s’en mêlent.
- Mais voilà: entre un vœu et son heureuse issue
- Il y a bien souvent comme entre cru et vu.
- On chercha cet élu qui devait les sauver
- On lui promit butin, richesses à satiété,
- En un mot, on voulait l’émissaire mignon,
- joli, charmant, roublard.
- On tomba sur Macron.
- Dire qu’il captiva, c’est aller un peu loin.
- On aurait préféré un lion, un aigle, un ours,
- Un renard ou un singe qui eût été malin,
- Ce n’était qu’une tique !
- Et nulle autre ressource.
- Quoi, cet à peine ciron, ce plus bas qu’un pied ?
- Hors lui nul volontaire, on dut s’en contenter…
- Le rat n’est pas sociable, il ne vit qu’entre soi,
- A cette heure, il se vit dans un grand désarroi.
- Une abeille eût suffi, un lézard, un frelon
- Eussent encore mieux paru que l’insecte avorton.
- D’où viendront vos secours ? Où sont vos alliés ? »
- Les rats le questionnaient, quelque peu paniqués.
- Croyez-vous que la foule à votre vue se pâme ? »
- La tique a moins d’amis que le rongeur infâme;
- Comment comptait-elle donc emporter le débat,
- Refouler la vindicte (elle annonçait leur glas !) ?
- « Croyez-moi, mes seigneurs, je sais grossir à temps »,
- Fit l’insecte anodin. « Il faut penser printemps.
- « C’est la saison où je sévis sans qu’on me voie.
- « Je suçote au jarret le sang de chaque proie.
- « Je grossis tout pendant que ma proie dépérit,
- « Par un mal invisible et comme anéantie,
- « Tandis que je grossis, autant que la grenouille
- « Qui du bœuf, dit la fable, voulut avoir la taille. »
- « — Admettons, mais enfin, ferez-vous ça tout seul ?
- « Aurez-vous pour la foule une assez grande gueule ? »
- « — Non point, mes chers seigneurs, qui pas fiers me mandez,
- « Là où seul j’échouerais, cent comme moi vaincraient.
- « Les parasites de mon genre sont légion,
- « On pompera chacun jusque dans sa maison.
- « S’ils sont puissants en groupe, isolons les frondeurs.
- « Le courage en troupeau chez un seul devient peur.
- « Il suffira que trois complices chez les chats
- « Trois rats-minagrobis, nous soient assez pro-rats,
- « Et que 3 fouines nous soient d’assez bons médias,
- « Mettons-y cinq chacals qu’on querra d’Arabie,
- « Et l’ordre reviendra sans jamais qu’on vous vît.
- « Dans le tumulte en plus, j’annexerai la ville
- « Et si vous me payez, je vous la remettrai. »
- Les rats applaudirent à ces mots, satisfaits.
- Dans la ville, bientôt, les tiques pullulèrent,
- Les habitants piqués, sucés, de maladie tombèrent.
- D’aucuns pourtant debout s’en furent protester.
- On les cueillit sitôt pour les reconfiner.
- Quelques-uns essayèrent un peu plus hardiment
- On les éconduisit. Ce, en les matraquant.
- On fit de la police et de la bastonnade
- Sur tous les égarés de moindres promenades.
- Vieux ou jeunes au fait, ou au courant de rien,
- Ce fut un beau carnage, un injuste festin.
- La fronde eut tôt contre elle, avant qu’elle ait bougé,
- Non seulement la meute aux rats toute vouée
- Mais tous les autres aussi, ligués comme un seul homme.
- La lâcheté des veules emplirait des albums !
- Le chien bien entendu qui court après le chat,
- Le gorille et les singes amateurs de razzias,
- Et tous ces gens qui là, se trouvent sans orgueil.
- Les révoltes aujourd’hui sombrent sur ces écueils.
- Il y eût bien cent braves, mais trop peu audacieux,
- On finit par les voir comme autant de factieux.
- Ce concile inique eut raison des atavismes
- Et l’affaire en entier fut enterrée sans schisme.
- La foule dispersée, poursuivie, condamnée,
- Dut en réparation débourser ses deniers.
- Les rats cette fois-là en furent quittes encore
- Pour une peur d’un jour, et pas un seul remords.
- Or, Noël approchait, avec tous ses mystères,
- Ô ! Période bénie et rarement austère.
- La tique idiotement, en son infime cour,
- Se croyait adulée. Trois pelés deux tondus,
- Faisaient imaginer qu’on l’entourait d’amour.
- En vainquant, elle croyait désormais tout vaincu.
- Mais le froid de décembre amenait un tracas:
- On n’avait plus un sou. D’où venait l’embarras ?
- La tique avait gagé plus qu’elle n’avait prévu
- En payant les chacals, les pillages à nu,
- Dont la moitié du coût eût pu rassasier
- Le peuple qu’on venait à peine d’écraser.
- En commettant ainsi de funestes dépenses,
- On avait épuisé les dernières finances.
- Que voulez-vous que fît la tique ? Evidemment,
- Elle alla retrouver ses amis tout en dents,
- Ses bienfaiteurs les rats, pour leur faire un emprunt,
- S’apprêtant à promettre de mirifiques gains.
- Le rat est trop prêteur, c’est son moindre défaut.
- Mais il ne prête en fait qu’à ceux qui portent beau
- Et il ne prête au vrai que ce qu’on croit qu’il a.
- Mais notre parasite imaginait les rats
- En mécènes fournis, exigeants mais princiers.
- Il en ignorait tout: ce sont des voleur-nés.
- « — Tu veux des sous, fort bien, où en est ton trésor ? »
- « — Il ne me reste rien », fit la tique, est-ce un tort ? »
- « — Un tort fatal ! Enfin, que pouvons-nous pour toi ? »
- « — Avancez-moi un peu, bientôt j’aurai de quoi. »
- « — Nous ne pouvons prêter que ce qu’on peut payer.
- « Un crédit, ça s’achète, c’est là notre métier.
- « Tu n’as rien à donner, où donc serait l’échange ?
- « Tu nous voir mourir ? Va, donc, tu nous déranges. »
- « — Tout de même, après tout ce que je fis pour vous…. ! »
- Essaya notre tique, à peine encore debout.
- « — Laissons là le passé, restons à aujourd’hui. »
- « — Mais je n’ai plus d’argent, pas le plus petit Louis. »
- « — Et tes administrés, ne peux-tu les sucer ? »
- « — Ils sont exsangues, hélas ! Ces sans-dents sont rincés. »
- « — Si les vivants rechignent, fais donc payer les morts,
- « Les pas-nés, les vieillards, et prostitue les corps ! »
- « — Mais d’ici là, mes pères… ? » « — Tu te débrouilleras.
- « Nous ne nous mêlons pas de ce qu’il adviendra.
- « Du reste, ta cité n’a pour nous plus d’attrait.
- « Nous partirons bientôt vers de plus riches crêts. »
- La tique, sans soutien, comprit qu’elle était cuite,
- Ses heures étaient comptées, vous devinez la suite.
- Il faut à cette histoire une juste morale
- (C’est l’usage du conte en sa partie finale) :
- Il n’est point de tyran qui ne vive aux dépends
- De gens qui le soutiennent autant qu’il est d’argent.
- Pour toi, je t’en avise: abuse à bon escient
- Et sache pressurer en toute discrétion.
- Tu n’auras, c’est certain, aucune opposition.
- Indolente ou cachée, et bien prompte à se rendre
- La masse préfère, au saint combat, se faire pendre.
- Plutôt que de se battre et défendre son dû,
- Elle se soumet sans peine au hasard du vaincu.
- Ô toi, peuple, entends-moi: tu mérites ton sort
- Heureux ou malheureux, et quel que soit ton bord,
- Sois uni et bats-toi, mais pas pour quelques liards,
- Pas pour de vains plaisirs, ni même des milliards.
- En voulant la Justice, tu invoques un Destin
- Qu’on ne négocie pas, et qu’on ne solde point.
- Parle moins, agis plus ! Et prie pour ton salut.
- Si un jour l’un des tiens, de revanche mordu,
- Réunissant sur lui les faveurs du destin,
- T’appelle à renverser les agents du Malin,
- Ne tergiverses point, et fais donc de ton mieux,
- Pour que l’oligarchie soit dénantie des lieux.
- On verra si tes actes imitent tes paroles,
- Ou si tu n’as en fait que des gonades molles.
- Tu te veux libérer ? On le mesurera
- Aux actes, en fait, que tu accompliras.
- Cette voie est sublime, elle exige une flamme
- Qui engage tes fils, et ton sort et ton âme.
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